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"La lecture est une amitié" (Marcel Proust)
28 août 2011

Les Souvenirs, David Foenkinos

 

2011 semble être l'année Foenkinos : un livre mis en scène au cinéma (La Délicatesse, avec notamment Audrey Tautou, François Damiens, Bruno Todeschini et Joséphine de Meaux, sortie le 21 décembre), et un nouveau (très bon) roman, Les Souvenirs.


rl11_souvenirs

 

Quatrième de couverture : 

Il pleuvait tellement le jour de la mort de mon grand-père que je ne voyais presque rien. Perdu dans la foule des parapluies, j'ai tenté de trouver un taxi. Je ne savais pas pourquoi je voulais à tout prix me dépêcher, c'était absurde, à quoi cela servait de courir, il était là, il était mort, il allait à coup sûr m'attendre sans bouger. 

 

Deux jours auparavant, il était encore vivant. J'étais allé le voir à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, avec l'espoir gênant que ce serait la dernière fois. L'espoir que le long calvaire prendrait fin. Je l'ai aidé à boire avec une paille. La moitié de l'eau a coulé le long de son cou et mouillé davantage encore sa blouse, mais à ce moment-là il était bien au-delà de l'inconfort. Il m'a regardé d'un air désemparé, avec sa lucidité des jours valides. C'était sûrement ça le plus violent, de le sentir conscient de son état. Chaque souffle s'annonçait à lui comme une décision insoutenable. Je voulais lui dire que je l'aimais, mais je n'y suis pas parvenu. J'y pense encore à ces mots, et à la pudeur qui m'a retenu dans l'inachèvement sentimental. Une pudeur ridicule en de telles circonstances. Une pudeur impardonnable et irrémédiable. J'ai si souvent été en retard sur les mots que j'aurais voulu dire. Je ne pourrai jamais faire marche arrière vers cette tendresse. Sauf peut-être avec l'écrit, maintenant. Je peux lui dire, là. " David Foenkinos nous offre ici une méditation sensible sur la vieillesse et les maisons de retraite, la difficulté de comprendre ses parents, l'amour conjugal, le désir de créer et la beauté du hasard, au fil d'une histoire simple racontée avec délicatesse, humour, et un art maîtrisé des formules singulières ou poétiques.

 


Les Souvenirs, quel titre aurait été meilleur pour ce nouvel ouvrage ? Alliant passé, présent et avenir, Foenkinos nous livre un récit captivant. 

 

Tout d'abord, le décor de ce récit est flou, voire, pour certains points, inexistant. Nous savons que nous naviguons entre la Normandie et la région parisienne du 21ème siècle ("On se parle sur Skype"), et c'est à peu près tout. 

Par ailleurs, le personnage principal, qui raconte l'histoire, est comme désincarné derrière son discours : pas de nom, pas d'âge, etc. Et les autres protagonistes, s'ils ont le mérite d'avoir un prénom, ressemblent à tout et à rien à la fois. En effet, sur les 266 pages qui composent le récit, Foenkinos a prit le parti de ne placer aucune description physique sur ces personnages, ce qui nous contraint à se figurer, sans s'imaginer, une silhouette, peut-être avec des cheveux blonds, mais peut-être pas, etc. Tout le roman est ainsi basé sur l'incertitude.

Et c'est cette incertitude qui va créer la palette de thèmes traités au fil de l'oeuvre : la mort, l'amour, la vieillesse, le deuil, le bric-à-brac des sentiments, l'accumulation des souffrances (une phrase que j'ai beaucoup aimé : "Il fallait établir une hiérarchie dans les souffrances"), vivre toute une vie avec le goût d'inachevé, la vie de couple, la femme, l'importance du matériel, etc. 

Grâce au point de vue omniscient du narrateur, Foenkinos pousse certains de ces thèmes jusque dans leur retranchement : Lorsque l'on devient âgé, "est-ce que le désir meurt ? Deviendrais-je un jour insensible à la sensualité ?", ou encore à propos des passions refoulées : "Après notre départ, l'ancien peintre est resté une heure sur son canapé sans bouger. Puis, il s'est levé subitement pour aller chercher un petit carnet sur lequel il a écrit : "Acheter une toile, des pinceaux, de la gouache." C'est ainsi qu'il renouerait avec sa passion des jours anciens."

Les relations familiales nouées sont également très bien décrites, et le fils, lorsqu'il décrit son père, m'a fait pensé au dernier roman de Michel Rostain, Le Fils, dans lequel on ne sait parfois pas très bien qui est plus adulte que l'autre. C'est ce qui a rendu le discours touchant.

Mais tous ces thèmes, traités parfois sous forme d'anectodes ou de péripéties, ne sont pas sans nous rappeler que le récit semble osciller entre fiction et réalité. Parfois, Foenkinos est comme un criminel cherchant à défendre la véracité de son discours face à un juge. En effet, à maintes reprises (trois pour être exact) l'adverbe "vraiment" est utilisé de façon insistante : 

- "C'est vraiment ce qu'elle a dit. Et c'est désolant que je me souvienne si bien de cette phrase [...]"

- "[...] et on aurait vraiment dit que trois petits points en sortaient."

- "La maîtresse lui donna la paroles, et il posa (vraiment) cette question"

 Toutefois, Les Souvenirs n'allait pas s'en sortir sans un petit point négatif ! En effet, de temps en temps, le sentiment amoureux est exprimé d'une façon un peu (trop) mielleuse. Par exemple cet extrait :

" - Louise... mon problème, c'est de t'aimer.

- Je t'aime aussi, mais pour moi tu es la solution, pas le problème."

C'est cette lourdeur des propos du coeur (certainement voulue par l'auteur) qui m'a, personnellement, rendu un peu hermétique. 

 

Ceci dit, Les Souvenirs est un très bon roman, écrit sans fausses notes remarquables, à l'histoire émouvante et parfois subversive, qui, je pense, a toutes ces chances de décrocher un prix cette année. 

Les Souvenirs, David Foenkinos, Gallimard, 18,50€ (★☆)

 

 

(Un passage que j'ai particulièrement aimé : "J'allais aimé de plus en plus les femmes, vivre dans la fascination de chacun de leurs détails, dans cette obsession grandissante du plaisir. Je voulais qu'elles s'offrent à moi sans me poser de questions, qu'elles m'embrassent comme des voleuses de mes lèvres, qu'elles demeurent à jamais des étrangères que je connais tant.")

 

les matchs de la rentrée littéraire

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Commentaires
S
je suis ravie qu'un homme aime ce roman, car j'entends dire parfois que Foenkinos est un écrivain pour les dames...je viens de finir "les souvenirs", c'est un coup de coeur pour moi(mon billet sur mon blog demain ou après-demain), en tout cas ce que tu en dis est très juste et sensible.Je m'abonne à ta newsletter et je mets ton blog en lien sur le mien. à bientôt!
J
Une jolie critique en effet, et merci de ton commentaire sur mon blog.. Je te suis sur "les souvenirs", et comme je l'ecrivais, par son talent, Foenkinos mérite son succès actuel. Je ne sais pas si tu as lu "le potentiel erotique de ma femme ", c'est un petit bijou de drôlerie..
P
j'ai lu "la délicatesse" et"en cas de bonheur" meme si je ne les ai pas chroniques sur mon blog.J'ai beaucoup aimé et ne comprend pas bien ses detracteurs.je vais tacher de trouver "les souvenirs" à la mediatheque.Tu sembles nouveau dans la blogosphere alors je souhaite longue vie à ton blog!je te mets en lien si tu es d'accord.
M
Waouh, je ne sais pas si tu as déjà eu une expérience de critique/journaliste littéraire, ni quel âge tu as, mais bravo pour ton talent ! <br /> <br /> Marc
P
Bienvenue sur la blogosphère! Et bravo pour tes débuts: c'est un excellent billet, et tu as un très joli design, très agréable à lire. Pas d'accord avec toi sur le côté mielleux, je trouve qu'il est dans la douceur du propos et tout à fait d'accord sur la possibilité d'un prix cette année. Pour la Délicatesse, il a d'ailleurs été sur toutes les listes des grands prix d'automne, et il s'est autobaptisé: Poulidor des prix, car il n'en a obtenu aucun. Il s'est rattrapé au printemps avec 10 prix
"La lecture est une amitié" (Marcel Proust)
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