Les Souvenirs, David Foenkinos
2011 semble être l'année Foenkinos : un livre mis en scène au cinéma (La Délicatesse, avec notamment Audrey Tautou, François Damiens, Bruno Todeschini et Joséphine de Meaux, sortie le 21 décembre), et un nouveau (très bon) roman, Les Souvenirs.
Quatrième de couverture :
Il pleuvait tellement le jour de la mort de mon grand-père que je ne voyais presque rien. Perdu dans la foule des parapluies, j'ai tenté de trouver un taxi. Je ne savais pas pourquoi je voulais à tout prix me dépêcher, c'était absurde, à quoi cela servait de courir, il était là, il était mort, il allait à coup sûr m'attendre sans bouger.
Deux jours auparavant, il était encore vivant. J'étais allé le voir à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, avec l'espoir gênant que ce serait la dernière fois. L'espoir que le long calvaire prendrait fin. Je l'ai aidé à boire avec une paille. La moitié de l'eau a coulé le long de son cou et mouillé davantage encore sa blouse, mais à ce moment-là il était bien au-delà de l'inconfort. Il m'a regardé d'un air désemparé, avec sa lucidité des jours valides. C'était sûrement ça le plus violent, de le sentir conscient de son état. Chaque souffle s'annonçait à lui comme une décision insoutenable. Je voulais lui dire que je l'aimais, mais je n'y suis pas parvenu. J'y pense encore à ces mots, et à la pudeur qui m'a retenu dans l'inachèvement sentimental. Une pudeur ridicule en de telles circonstances. Une pudeur impardonnable et irrémédiable. J'ai si souvent été en retard sur les mots que j'aurais voulu dire. Je ne pourrai jamais faire marche arrière vers cette tendresse. Sauf peut-être avec l'écrit, maintenant. Je peux lui dire, là. " David Foenkinos nous offre ici une méditation sensible sur la vieillesse et les maisons de retraite, la difficulté de comprendre ses parents, l'amour conjugal, le désir de créer et la beauté du hasard, au fil d'une histoire simple racontée avec délicatesse, humour, et un art maîtrisé des formules singulières ou poétiques.
Les Souvenirs, quel titre aurait été meilleur pour ce nouvel ouvrage ? Alliant passé, présent et avenir, Foenkinos nous livre un récit captivant.
Tout d'abord, le décor de ce récit est flou, voire, pour certains points, inexistant. Nous savons que nous naviguons entre la Normandie et la région parisienne du 21ème siècle ("On se parle sur Skype"), et c'est à peu près tout.
Par ailleurs, le personnage principal, qui raconte l'histoire, est comme désincarné derrière son discours : pas de nom, pas d'âge, etc. Et les autres protagonistes, s'ils ont le mérite d'avoir un prénom, ressemblent à tout et à rien à la fois. En effet, sur les 266 pages qui composent le récit, Foenkinos a prit le parti de ne placer aucune description physique sur ces personnages, ce qui nous contraint à se figurer, sans s'imaginer, une silhouette, peut-être avec des cheveux blonds, mais peut-être pas, etc. Tout le roman est ainsi basé sur l'incertitude.
Et c'est cette incertitude qui va créer la palette de thèmes traités au fil de l'oeuvre : la mort, l'amour, la vieillesse, le deuil, le bric-à-brac des sentiments, l'accumulation des souffrances (une phrase que j'ai beaucoup aimé : "Il fallait établir une hiérarchie dans les souffrances"), vivre toute une vie avec le goût d'inachevé, la vie de couple, la femme, l'importance du matériel, etc.
Grâce au point de vue omniscient du narrateur, Foenkinos pousse certains de ces thèmes jusque dans leur retranchement : Lorsque l'on devient âgé, "est-ce que le désir meurt ? Deviendrais-je un jour insensible à la sensualité ?", ou encore à propos des passions refoulées : "Après notre départ, l'ancien peintre est resté une heure sur son canapé sans bouger. Puis, il s'est levé subitement pour aller chercher un petit carnet sur lequel il a écrit : "Acheter une toile, des pinceaux, de la gouache." C'est ainsi qu'il renouerait avec sa passion des jours anciens."
Les relations familiales nouées sont également très bien décrites, et le fils, lorsqu'il décrit son père, m'a fait pensé au dernier roman de Michel Rostain, Le Fils, dans lequel on ne sait parfois pas très bien qui est plus adulte que l'autre. C'est ce qui a rendu le discours touchant.
- "C'est vraiment ce qu'elle a dit. Et c'est désolant que je me souvienne si bien de cette phrase [...]"
- "[...] et on aurait vraiment dit que trois petits points en sortaient."
- "La maîtresse lui donna la paroles, et il posa (vraiment) cette question"
Toutefois, Les Souvenirs n'allait pas s'en sortir sans un petit point négatif ! En effet, de temps en temps, le sentiment amoureux est exprimé d'une façon un peu (trop) mielleuse. Par exemple cet extrait :
" - Louise... mon problème, c'est de t'aimer.
- Je t'aime aussi, mais pour moi tu es la solution, pas le problème."
C'est cette lourdeur des propos du coeur (certainement voulue par l'auteur) qui m'a, personnellement, rendu un peu hermétique.
Ceci dit, Les Souvenirs est un très bon roman, écrit sans fausses notes remarquables, à l'histoire émouvante et parfois subversive, qui, je pense, a toutes ces chances de décrocher un prix cette année.
Les Souvenirs, David Foenkinos, Gallimard, 18,50€ (★★★★☆)
(Un passage que j'ai particulièrement aimé : "J'allais aimé de plus en plus les femmes, vivre dans la fascination de chacun de leurs détails, dans cette obsession grandissante du plaisir. Je voulais qu'elles s'offrent à moi sans me poser de questions, qu'elles m'embrassent comme des voleuses de mes lèvres, qu'elles demeurent à jamais des étrangères que je connais tant.")